La marque « vente-privee.com » sauvée par son usage (Cass. Com. 6 décembre 2016)

Une marque n’est valable que si le signe choisi est distinctif, c’est-à-dire arbitraire par rapport aux produits et services qu’il désigne, de sorte qu’il permet au public de rattacher les produits ou services en cause à une entreprise déterminée.

Cette exigence permet également d’éviter que des personnes se réservent des signes qui sont la désignation nécessaire, générique ou usuelle des produits ou services qu’ils désignent, signes que les concurrents ont besoin d’utiliser dans le cadre de leur activité.

Dans l’affaire évoquée, c’est le caractère distinctif de la marque « vente-privee.com » qui avait été remis en cause.

Le 5 septembre 2012, la société Showroomprive.com avait assigné la société Vente-privee.com devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en annulation de la marque verbale française « vente-privee.com » au motif que cette marque était dépourvue de caractère distinctif pour les services de la classe 35 visés dans son enregistrement, et notamment pour les services de « promotion des ventes pour le compte des tiers ; (…) présentation de produits sur tout moyen de communication pour la vente au détail ; de regroupement pour le compte de tiers de produits (…) et services, à savoir (..), permettant aux clients de visualiser et d’acheter ces produits ou ces services par tout moyen, notamment sur un site Web marchand (…) ».

Aux termes d’un jugement du 28 novembre 2013, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait fait droit à cette demande et annulé l’enregistrement de la marque « vente-privee.com » pour défaut de distinctivité.

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Cour d’Appel de Paris avait infirmé ce jugement.

Si la Cour avait approuvé les premiers juges d’avoir considéré qu’au regard des services en cause, la marque « vente-privee.com » était, à la date de son dépôt, compte tenu de son caractère usuel et descriptif, dépourvue de caractère distinctif, elle avait en revanche estimé que la marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage.

La Cour avait en effet considéré que les preuves rapportées par la société Vente-privee.com (notamment des sondages mesurant la notoriété du site Internet et la connaissance de la marque auprès du public) démontraient que le signe en cause avait fait l’objet d’un usage continu, intense et de longue durée et qu’« une fraction significative du public concerné perçoit la marque « vente-privee.com » comme identifiant les services (en cause) comme provenant d’une entreprise déterminée, en l’occurrence la société Vente-privee.com ».

La Cour avait donc débouté la société Showroomprive.com de sa demande en nullité de la marque « vente-privee.com » pour défaut de distinctivité.

La société Showroomprive.com avait alors formé un pourvoi en cassation, mais par un arrêt du 6 décembre 2016, la Cour de Cassation a confirmé l’arrêt d’appel.

Cette affaire est une illustration particulièrement emblématique de l’application de l’article L 711-2 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui prévoit expressément que « le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage » (le c se rapportant aux signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle).

Il est donc possible de sauver une marque par l’usage qu’on en a fait ; il reste néanmoins préférable de choisir, dès l’origine, un signe distinctif.

En choisissant un signe qui ne s’éloigne pas suffisamment des produits ou services qu’il désigne, on s’expose forcément à subir des assauts des concurrents et à courir le risque de voir sa marque annulée.

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage ne couvre certainement que des hypothèses limitées.

En effet, la marque « vente-privee.com » aurait sans doute subi un tout autre sort si l’entreprise n’avait pas rencontré le succès que nous lui connaissons.

Clovis BEUDARD