Même campagne, combat différent, mais parasitisme quand même ! (TGI Paris 3ème ch. 4ème sec. 23 novembre 2017)

Ce jugement illustre bien ce qui constitue du parasitisme.

Dans cette affaire, l’association SPA, dont l’objet social est la protection des animaux, avait lancé une campagne publicitaire participative, incitant chaque citoyen à prendre directement contact avec ses élus via le réseau Twitter, pour dénoncer la torture faite aux animaux.

Quelques jours après le lancement de sa campagne, la SPA a découvert que l’association La Manif Pour Tous avait lancé une campagne participative « pour dénoncer le scandale de la PMA « sans père » et de la GPA (Gestation pour autrui) » qui reprenait, selon la SPA, les slogans, visuels et hashtags de sa propre campagne.

La SPA a également découvert que La Fondation Jérôme Lejeune avait elle aussi détourné sa campagne, pour dénoncer cette fois-ci l’avortement tardif et l’euthanasie.

La SPA a alors assigné en référé d’heure à heure La Manif Pour Tous et la Fondation Jérôme Lejeune et pu obtenir notamment des mesures d’interdiction et de publication.

Puis la SPA a assigné au fond La Manif Pour Tous et la Fondation Jérôme Lejeune pour faire juger que ces dernières avaient commis des actes de parasitisme à son encontre et les faire condamner à réparer son préjudice.

En défense, La Manif Pour Tous et la Fondation Jérôme Lejeune ont fait valoir notamment que la SPA ne pouvait pas se prévaloir d’un droit privatif sur son idée publicitaire de campagne participative, que cette dernière était, comme toutes les idées, de libre parcours.

Les défenderesses ont également soutenu qu’il n’y avait pas de risque de confusion entre les visuels des campagnes et que comme les parties n’avaient pas d’activité commerciale, il ne pouvait pas y avoir de parasitisme.

Enfin, les défenderesses ont invoqué le principe de la liberté d’expression et l’exception de parodie ; elles ont soutenu que les visuels de leur campagne ne constituaient qu’un clin d’œil humoristique à la campagne de la SPA.

Toutefois, aucun de ces arguments en défense n’a convaincu les juges de première instance.

En effet, le Tribunal a tout d’abord rappelé les conditions de l’action en parasitisme :

« l’exercice de l’action pour parasitisme est uniquement subordonné à l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice et non à l’existence d’une situation de concurrence entre les parties ».

A partir de là, le Tribunal a estimé qu’en l’espèce, le fait que les parties n’aient pas d’activité commerciale ne constituait pas un obstacle à l’action de la SPA, dont le succès reposait sur les conditions classiques de la responsabilité civile délictuelle (faute, préjudice, lien de causalité), tout en ajoutant que la SPA n’avait pas besoin de démontrer un risque de confusion entre les visuels.

Ensuite, le Tribunal a donc apprécié si les défenderesses avaient commis une faute.

Pour cela, les juges ont pris soin de constater l’investissement intellectuel et financier que la SPA avait réalisé dans sa campagne, puis au regard des éléments versés, ils ont considéré que : « les défenderesses ont donc choisi de copier la campagne publicitaire de la SPA en la détournant pour défendre leurs propres causes et ainsi faire leurs propres propagandes ».

Les juges ont également souligné que le fait que les campagnes litigieuses soient concomitantes de la campagne de la SPA brouillait le message que la SPA adressait au public, qui se trouvait parasité par les campagnes litigieuses.

S’agissant du principe de la liberté d’expression, le Tribunal a relevé qu’ « il n’apparaissait pas nécessaire aux défenderesses pour faire entendre leurs voix respectives de détourner la campagne de la SPA ».

Quant à l’exception de parodie, le Tribunal a estimé que « la campagne de la SPA est concomitante aux faits litigieux, le public n’a donc pas pu percevoir les visuels de La Manif Pour Tous et de la Fondation Jérôme Lejeune comme un clin d’œil évident à ceux de la SPA qui ne lui étaient alors pas encore familiers car la campagne n’a été lancée que quelques jours avant ».

Le Tribunal a même été plus loin puisqu’il a clairement montré qu’il considérait que les agissements litigieux n’avaient pas été accomplis dans le but de faire rire le public : « l’utilisation de visuels similaires et de hashtags identiques ont en réalité eu pour effet de « détourner » la cible de la campagne de la SPA qui était celle de la cause animale vers celle défendue par La Manif Pour Tous et la Fondation Jérôme Lejeune, et non pas pour provoquer le rire ou dans un but humoristique ».

En conséquence, le Tribunal en a conclu que :

« La Manif Pour Tous et la Fondation Jérôme Lejeune ont sans bourse délier copié le travail intellectuel et profité indûment des investissements engagés par la SPA pour financer sa campagne nationale (…) Le parasitisme est donc caractérisé en ce qu’il est justifié de l’intention des défenderesses de promouvoir leur propre activité en se plaçant dans le sillage d’autrui et en profitant gratuitement des efforts et des investissements de ce dernier ».

Enfin, le Tribunal a considéré que les agissements avaient entraîné un préjudice économique et moral à la SPA qu’il a évalué à la somme de 15.000 € (10.000 € au titre du préjudice économique et 5.000 € au titre du préjudice moral).

Cette solution ne peut qu’être approuvée sur le fond puisqu’elle s’inscrit dans la jurisprudence rendue en matière de parasitisme.

Même si les idées sont de libre parcours, celui ou celle qui copie la concrétisation d’une idée par un tiers et profite indûment des efforts et investissements que celui-ci a réalisés commet bien un acte de parasitisme fautif.

En l’espèce, on ne peut s’empêcher de penser que le Tribunal n’a sans doute pas non plus trouvé très amusant le « clin d’œil » invoqué par les défenderesses, et donc l’assimilation des causes qu’elles défendent à celle de la SPA qui, avouons-le, sont très éloignées les unes des autres.

Le montant alloué en réparation des préjudices peut paraître assez faible au regard des éléments justificatifs mis en avant par la SPA.

Mais le Tribunal a relevé, non seulement que les actes litigieux s’étaient étalés sur une courte période étant donné que la SPA avait obtenu une mesure d’interdiction en référé, mais encore que ces mêmes actes avaient déjà été sanctionnés en grande partie par la publication judiciaire d’un communiqué, également obtenue en référé.

Aussi, et c’est ce qui a sans doute le plus pesé, la SPA a pu in fine faire délivrer son message au public, puisque comme le Tribunal l’a relevé : « la SPA a pu, malgré les actes de parasitisme, poursuivre sa campagne d’affichage et de presse comme prévu ».

Clovis BEUDARD